Durant des décennies le régime soviétique a pratiqué une politique de formation très active, fondée sur un taux de scolarisation élevé et une gratuité totale. L'idée était défendue dans les années1960, que cet effort d'éducation fortement orienté en faveur des sciences permettrait de rattrapper les Etas-Unis vers les années 2000.Le système de formation supérieure a ainsi pris une extension impressionnante.
On formait en URSS 300 000 ingénieurs par an soit 4 fois plus qu'aux États-Unis, pour un niveau de développement moindre !.
L'ensemble du dispositif faisait l'objet d'une planification précise fixant chaque année le nombre de diplômés à "produire".
Le bouleversement apporté à l'économie russe par le changement radical des règles de base ne pouvait avoir qu'un impact important sur un système de formation totalement calibré pour servir une économie planifiée.Plusieurs tendances apparaissent dans une situation générale de déstabilisation
- l'incapacité de l'État de continuer à financer un dispositif aussi important, et à l'évidence, peu proportionné aux besoins
- une très vive poussée des enseignements de gestion qui semblent les plus adaptés au développement désordonné d'une forme d'économie libérale
- le problème de reconversion d'un appareil de formation technique qui vivait adossé au complexe militaro-industriel
Il faut admettre qu'aujourd'hui les ingénieurs diplômés sont en surnombre, et cherchent par tous les moyens à trouver une porte de sortie vers des emplois, en particulier dans les entreprises étrangères.
Les français vivent assez facilement sur des clichés et perçoivent la Russie au travers des cours d'histoire, comme un pays essentiellement rural, peu développé, et totalement hors course par rapport aux grands pays industrialisés de l'Ouest.La déconfiture totale qui a suivi la chute du mur de Berlin et les articles journalistiques qui soulignent le délabrement de l'appareil public, sans parler du phénomène maffieux obscurcissent encore le tableau.
Cette image pêche sur de nombreux points et est la source d'erreurs de jugement importantes des occidentaux
- la technologie liée au militaire a atteint un niveau tout à fait compétitif (avions, fusées), résultat qui témoigne de la qualité des ingénieurs de conception (et donc de leurs formations)
- la Russie, malgré ses problèmes n'est pas positivement un pays culturellement sous-développé: il suffit pour s'en convaincre de voir l'aisance avec laquelle une diaspora russe s'est intégrée un peu partout, et en particulier aux États-Unis
- les jeunes élèves russes invités à l'étranger ont réussi à s'acclimater à une vitesse record, en particulier au niveau des langues
Il faut donc clairement distinguer le désordre politique et économique, dont les effets à court terme sont peu discutables et les capacités à long terme portées par une jeunesse dont le fond de formation est bon, et qui montre journellement son aptitude à s'adapter à une remise en cause des fondements de la société.